Pierre Morel

Journal de bord réflexif, intime, et politique

Où est ma photo de ski ? (2/2)

Clément Paris, premier jumpg, lors d'une session de freestyle backcountry sur le domaine de Samoëns le 23 mars 2009.
Clément Paris, premier jump, lors d'une session de freestyle backcountry sur le domaine de Samoëns le 23 mars 2009.

Dans la suite de mes réflexions d’hier, je me suis  questionné sur la nature et le rôle de la photo de ski. C’est un photographe de ski suisse, Sébastien Anex qui m’a mis la puce à l’oreille en critiquant le classicisme de mes prises de vues de  freestyle. Je ne parlerais donc pas ici de la photo de ski alpin classique mais de l’iconographie qui entoure et anime les sports alternatifs extrême, en l’occurrence le ski freestyle et le ski freeride.

Ces deux disciplines complémentaires jouent énormément de l’image au point qu’elle en est partie intégrante. C’est une chance que d’avoir cette relation entre une discipline et sa représentation mais c’est aussi un piège car pour sortir une autre représentation du ski freestyle, il faut peut être séparer l’image, de la pratique. Vous suivez ?

Aujourd’hui iconographiquement, on se rapproche énormément d’une photo publicitaire ou de mode dans le sens où elle doit magnifier le skieur, son environnement (le spot, lieu du ride), son style. La photo de ski se rapproche de la photo de sport outdoor et de la photo que je qualifierais « des années rocks » (dans son coté alternatif, décalé et avec les images d’ambiance tristement qualifiées de « livestyle« ).  Tout cela parce qu’il faut vendre du rêve et parce que le ski freestyle & freeride se nourrit de ces images belles et/ou impressionnantes. Ce n’est pas d’ailleurs pas un hasard si la majorité  des photographes (j’ai mis une petite liste à la fin de ce billet) qui suivent le ski newschool  sont moins des journalistes photographes que des photographes de communication, de sport ou d’illustration.

Clemsou (Clément Paris) prends la pose avec le flash du photographe Pierre Augier lors d'une session de ski freestyle backcountry à Samoëns le 23 mars 2009.
Clemsou (Clément Paris) prends la pose avec le flash du photographe Pierre Augier lors d'une session de ski freestyle backcountry à Samoëns le 23 mars 2009.


Des Flashs

Pour étayer mon propos, il suffit de regarder le vocabulaire et le matériel utilisés pour la photo de ski. On parle d’organiser des photoshoots lors de sessions ride. On regroupe souvent les productions photos dans des portfolios présents dans les magazines où prime l’image seule sur la série cohérente. Ce mot photoshoot est bien synonyme de mise en scène, de séance posé pour obtenir l’Image. Ce n’est en soit pas un mal et les contraintes de ce sport (action rapide, terrain difficile) font que des sessions organisées sont un mal nécessaire pour les photos.

De plus, les riders utilisent souvent l’expression « faire de l’image » dans leurs interviews. On est dans une véritable logique de production, de conception, de production. Cette pratique ne vit pas sans images.
Coté matériel on ne s’y trompe pas : l’usage de plus en plus important, voir excessif, du flash déporté, par de nombreux photographes de sports extrêmes montre que l’on se rapproche de la mode et du studio, en jouant avec les éclairages. On crée la mise en scène. La nature et la montagne ne sont plus qu’un décor, les riders, des mannequins et les stations et les marques, des producteurs et des stylistes.

Sur le plan technique la publication fréquente de photos séquences prises en rafales (décomposition du mouvement du skieur) dénote au mieux une image à but pratique ou sportif (observer le saut), au pire d’une volonté d’imiter sur papier la vidéo.

Les exemples sont nombreux mais cela montre sur quel terrain et avec quels moyens se place actuellement la photo de ski.

Presse

Les 3 principaux magazines de ski newschool en France, Skieur Magazine, Weski et Fluid ont une politique photo qui leur est propre. Si Skieur Magazine reste dans une iconographie classique et somme toute journalistique, Weski fait le pari de photos plus « trash » et d’avantage mises en scène, se rapprochant presque d’un magazine de rock ou de contre-culture (modestement). Fluid, quand à lui, met fortement l’accent sur la photo en proposant 2 numéros snow et 3 numéros ski par ans qui sont très bien imprimés. Ce magazine propose à mon sens ce qui se fait de mieux en matière de photos de ski.

Skipass.com, qui est le site web de référence francophone sur le ski newschool accorde une place relativement importante à la photo. De récentes commandes de ce site ont même montré une envie de proposer quelque chose de plus narratif, proche du reportage. C’est par exemple le travail de Christophe Margot sur le Freeride World Tour.

Coupe du monde de ski freestyle à La Plagne.

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Sur la coupe du monde de half-pipe était présent des photographes de l’Equipe, d’AP et de l’AFP, non spécialisé en sports extrêmes, ce qui est plutôt rare dans ce milieu. De ce que j’ai vu sur le fil AFP et dans l’article de l’Equipe, on reste sur du gros plans : le skieur est isolé de son contexte, c’est une photo très descriptive. A mille lieux des conventions classique de la photo de ski freestyle (avoir un référentiel terrestre par exemple). C’est ainsi l’image qui est véhiculé pour le grand public. Très différents de ce qui se fait par les gens du milieux, mais il est toujours interessant de voir ce sort un photographes de presse, d’agence notamment sur le sujet. Ceci étant, je crois que ce n’est pas dans le sens de la photo AFP que pourra se renouveler la photo de ski.

Sports extrêmes et alternatifs, mêmes problématiques ?

La photo de ski freestyle serait alors peut être à mettre en parallèle avec l’iconographie des sports de glisse extrêmes et alternatifs. Si l’on regarde les magazines de surf, de skate, de roller et de snowboard (les 4 autres grandes disciplines de glisse), on est surpris de la qualité  et de l’influence qu’on pu avoir les photographes de ces disciplines sur ceux qui photographient actuellement le ski newschool. Que ça soit pour l’utilisation du flash, la qualité de mise en page ou la place donnée à la photo, je trouve que la photographie de ski  à encore quelques années de retard. Cela s’explique tout simplement par la jeunesse (une dizaine d’années) de ces nouvelles pratiques du ski.

C’est d’ailleurs en surf que j’ai vu récemment un travail qui se rapproche de ce que je cherche à faire photographiquement : « After The Storm » de Chris Bickford.

Trip freeride à Crans-Montana, fin mars 2009

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En vidéo ?

Les films de skis d’actions  fonctionne aussi de la même manière. Il s’agit de succession de parts (segments) d’images de quelques minutes par rider accompagnés d’une musique. Le tout dure entre 30 minutes et une heure. La majorité des films d’actions de sports extrêmes se construisent selon cette trame là. Toutefois certains réalisateurs ou skieurs tentent ces dernières années de proposer des choses différentes sur le milieu du ski. J’attends toujours quelque chose qui aborde ça de façon plus documentaire et/ou artistique.

Où aller ?

Documentaire et artistique : c’est avoir un regard d’auteur sur la réalité de ce milieu. C’est ce qui m’a tracassé durant cette quinzaine de jour de ride, c’est l’impossibilité de poser un regard différent et personnel sur le ride en ski et sa culture. Selon moi, je n’ai fais que réaliser des images qui se rapproche d’un classicisme formel que l’on voit dans les magazines. La contrainte d’une commande (sur la coupe du monde de pipe), les besoins des riders (qui veulent souvrent du classique et de l’image claquante) et mon absence du terrain pendant 2 ans  peuvent expliquer l’absence de ces images. C’est un vrai défi et j’ai beau eu tourner autour des spots, je n’ai pas trouvé d’angles personnels sur ce que je pouvais vivre.

Une autre difficulté est aussi que la spécialisation dans ce domaine des sports de glisse extrêmes  amène, de facto, à s’adresser à deux publics et clients : les initiés et les non-initiés (la majorité). Si mes images pourront paraitre impressionnantes et très belles aux parisiens, elle ne seront que des images simplette pour les Alpins ou les Pyrénéens qui connaissent ce milieu. Je stigmatise 😉.

Ce jeu sur deux tableaux oblige à trouver un certain équilibre. Je pense, qu’à terme, c’est finalement en développant quelque chose de personnel qu’on arrive à toucher aussi bien les spécialistes que les non spécialistes. En terme pro et en terme de grand public.

En fin de compte, cela me motive d’avantage à chercher des idées nouvelles. Je ne fais pas ce métier pour reproduire ce qui se fait ailleurs mais pour essayer un tant soit peu de faire une photo intéressante, qui fasse avancer le schmilblick. On le fait tous et c’est comme ça que la photographie avance. Pour le ski, je manque de fart pour l’instant alors je me nourris de ce que font les autres et je m’interroge sur ce que je fais.

Quelques pistes en vrac me viennent à l’idée pour renouveler mon approche photographique du monde du ride : jouer à fond la série, tenter un travail en diptyques et aborder un reportage en commençant par photographier ce milieu en dehors des skis. A la manière de Romain Laurendeau et de son excellent reportage « Avoriaz, un hiver » (voir dans la rubrique série de son site).

Photoshoot sur le snowpark de La Plagne le 20 mars.

Xavier Favre et Mat Dalin, originaire des Plans d'Hotonnes dans l'Ain, il travaille tout les deux au snowpark de La Plagne. Je suis Xavier en photo depuis ses débuts.
Xavier Favre et Mat Dalin, originaire des Plans d'Hotonnes dans l'Ain, ils travaillent tout les deux au snowpark de La Plagne. Je suis Xavier en photo depuis ses débuts.

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Et puis pour finir cette article, une petite liste de photographes français et étrangers qui travaillent sur le ski newschool :

Pierre Augier, Jérôme Tanon, Fabrice Wittner, Dom Daher, Stef Candé, Erik Seo, Nicolas Joly, Mattias Fredriksson, Pascal Lebeau, Chris O’Connel, Elina Sirparanta, Jako Martinet, Tero Repo, Blake Jorgeson, Félix Rioux.

Affaire à suivre. Vos remarques sont les bienvenues !


Commentaires

12 réponses à “Où est ma photo de ski ? (2/2)”

  1. Joli article, les photos sont impressionnantes et donnent pour le coup vraiment envie 🙂

  2. je pense que tu passe sur certain aspect de la photo de ski un peu rapidement. plus qu’une discipline photo, c’est aussi un style de vie et une forme de dévouement à un sport, à son esthétisme. les photog sont partie prenante des sport de glisses, sport à image par excellence. A ce titre, il fait partie du sport, il a certainement du mal à prendre du recul, et en fait je crois surtout l’envie de créer de l’image, mettre en scène, en équipe avec les riders. C’est à mille lieu de la photo « journalistique » qui elle se situe à l’extérieur de la pratique sportive … qui observe et informe.

    tu cite des travaux qui relèvent plus du reportage sur l’industrie du ski en général que de l’image de ski, mais c’est pour moi pas du tout la même chose. Les photos de sport s’adressent a un public averti de PRATIQUANTS, et en ce sens le moindre détail est important, ce qui rends la pratique passionnante, car exigeante … mais ce style d’image n’a pas la prétention d’être critique … juste bluffer le lecteur.

    Ceci dit, les photog de ski sont aussi souvent rédacteur, mais dans un cadre sportif …quand il s’agit de parler d’un evenemenent, du talent de tel rider, d’un nouveau trick … mais bon, ce n’est que du ski, du snow, du surf … on est pas en train de changer le monde, faut relativiser.

    Pour autant je ne pense pas que cette seule recherche esthétique soit dégradante … après tout les peintres font bien des nature mortes, des nus … des tableaux dont seul l’esthétisme compte … de là à comparer ça a la photo de mode ? non … un photographe de mode ne coucherais sûrement pas dans le canap d’un appart glauque des deux alpes, n’irait pas se peler les doigts par -20° a minuit, ne va pas tenter le diable avec les avalanches … l’implication n’est pas du tout la même, c’est avant tout une passion pour le sport, son environnement (mer, montagne, c’est selon) et l’image qu’un métier.

    ton questionnement est certainement très sain, mais relève à mon avis plus du journalisme que de la photographie.

  3. Bonjour à tous ! Je tombe pas hasard sur cet article très interessant. Le freestyle analysé par un regard extérieur ça fait toujours du bien ! Bravo !

  4. Très intéressant cette réflexion en deux parties Pierre !
    J’espère que tu trouveras ta voie pour te démarquer des photos classiques. Ca me rappelle une discu avec Pepe qui souhaite aussi apporter quelque chose de différent.
    Ne pourrais-tu pas apporter une regard différent en intégrant plus le coté « off » des évènements ? Il suffit de voir le suivi fait par le FWT (article sur Skipass). C’est un ensemble souhaitant retranscrire ce qui pu être vécu pendant la compétition, pas seulement une série de photos d’action. Le défaut est que ca demanderait beaucoup de temps.

    Martin
    P.S. : vérifie ton twitter, je t’ai transmis un lien sur le journalisme (en général, rien à voir avec le ski).

  5. Merci pour vos réponses et remarques.

    @djédjé : Je me permet de citer le lien que tu m’a envoyé en privé, c’est une démarche intéressante, documentaire. Je pense que les travaux différents existent, il faut les trouver. C’est une série de portrait de snowboarders :
    http://www.flickr.com/photos/glamoute/sets/72157600169604656/

    @sébastien : Effectivement la relation photographe/rider est primordiale. Du moins dans une optique de proposer quelque chose de différent, de plus « conceptuel » ou « questionnant ». Dans le cadre d’une démarche documentaire ça l’est un peu moins car le but est de documenter une culture et on est moins dans une recherche esthétique qu’une recherche informative.

    Pour le retard de la photo de ski freestyle, c’est vrai que c’est peut être un milieu fermé, ceci dit il y a eu des évolutions depuis quelques années. Toutefois modestes par rapport à d’autres types de photographies.

  6. Très bel article 😉
    Je ne m’y connais pas assez en photo de ski que pour juger, mais très instructif à lire 😉

  7. PS: tu évoques le retard de la photographie de ski freestyle; je ne crois pas qu’il soit uniquement à imputer à la jeunesse du sport, mais également à notre étroitesse d’esprit. Contrairement à l’image fun du freeski qu’on désire nous vendre, cet infime marché est plus que fermé. Pour y rentrer, il faut se conformer à x codes vestimentaires et y attitudes. Et autant les tendances vestimentaires changent chaque année, autant le sport et sa photographie stagnent.

  8. Très intéressant.
    Une clé pour avancer vers une photographie de glisse plus personnelle (toute aussi relative qu’elle soit, certes) peut, à mon humble avis, consister à partir à la neige avec un skieur ayant une vision artistique lui même. Je ne parle pas de quelqu’un qui profanera des âneries sur l’esthétisme de la trace laissée derrière les spatules. Je pense plus à quelqu’un qui est d’accord de consacrer un brin de temps non pas à une action, mais à un endroit (quitte à totalement l’abandonner par la suite s’il n’y a vraiment rien à faire). En ce sens, j’ai de la chance de nourrir une excellente amitié avec le peintre, et ensuite snowboardeur, Nicolas Vaudroz. S’il n’est qu’un point infime sur une photo, qu’on ne voit pas ses sponsors, son ego n’en est pas atteint. Il me dit lui-même aimer entrer, presque par hasard, dans le cadre d’une photo. Aucune pression ou contrainte, toujours des échecs, mais nous nous arrêtons de moins en moins lors des descentes. Au final, beaucoup de plaisir en ski, avec en bonus un ou deux clichés nous parlant !

  9. Wah intéressante explication 😉
    Continu en tout cas, c’est comme ça qu’on avance !

    On pourrait insérer qql décors tricotés colorés pour apporter encore + d’effets artistiques si tu veux ^^
    A bientôt !

  10. Et bien ! Que de plaisir à lire cet article !
    Voila une bien belle réflexion sur le ski qui tranche avec certains reportage descriptifs, classiques et formatés que l’on a l’habitude de lire.
    J’adhère grandement à ce que tu dis et cela correspond en beaucoup de points à ma vision quasi « anti contest » de ce sport.
    Je fait du ski pour le plaisir et les sensations que cela me procure bien sur mais aussi pour son aspect visuel et créatif que soit au niveau des tricks que de la photo.
    Merci pour ce bon moment
    On retourne rider quand tu veux !

  11. Guillaume

    intéressant!

  12. djédjé

    You inspire me !!!
    Honnête, complet et engagé (je découvre ton blog en entrant sur tes 2 articles « où est ma photo de ski? »)

    Je retiens, entre autre le « consommer de la montagne », source d’interrogation multiples.
    J’adhère complètement à tes analyses ou début d’analyse.

    J’aimerais te proposer un parallèle pour étayer le lien : Photo de ride/ photo de pub: Le graffiti.
    Ci et là, il s’agit de « poser » un « blaze » (sa signature, son nom, sa figure, son style) sur un « Mur ».
    Qu’il soit de briques ou de roches, gris ou bleu la dimension publicitaire est bien là. Alternatif ?

    Ce que m’évoque ton article/ réfléxion en terme de photographie/ images serait peut-être de remettre la montagne au premier plan.
    Changer le décor. Ce n’est plus un rider avec comme décor la montagne, mais une montagne, un lieu, une place,
    un territoire avec comme décor le Ride.
    Je ne sais pas si l’image existe mais je pense à un lac d’altitude, immobile, toujours là, gardé par sa fidèle,
    avec dans son reflet là bas au fond à gauche, une figure posée, éphémère, instantanée, une trace.
    A+

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